1.01 - Forteresse de solitude
Personnages présent dans cet épisode:
Face contre terre, ventre à plat sur l'herbe humide, Kaylee forçait ses muscles à lui obéir pour chasser le poids du corps du jeune homme au dessus d'elle. Elle devait se concentrer pour le renverser et prendre l'avantage, elle en était parfaitement capable.. mais le voulait-elle vraiment?
- Je ne savais pas qu'on avait à faire à une guimauve! railla un homme d'un certain âge posté droit comme un "i" au dessus de la jeune fille. Est-ce là l'image du soldat que tu veux garder? Celle d'une pleurnicheuse mal dans sa peau qui en plus de mettre sa propre vie en danger, condamne celle des autres?!
Piquée à vif, Kaylee se redressa d'un même mouvement pour envoyer balader son jeune adversaire à plusieurs mètres de là. Pensant avoir le dessus, celui-ci avait baissé malencontreusement sa garde.
Elle ne se préoccupa pas de l'état du jeune homme et se leva pour faire face à son supérieur, sans se départir d'un petit sourire en coin.
- Je suis maintenant prête! déclara t-elle avec aplomb.
- Prête, le crois-tu vraiment?
L'homme, vêtu d'une combinaison grise et blanche aux aspects militaire tout comme Kaylee, se mit alors à faire les cents pas autour de la jeune fille en posant un regard dominant sur elle.
- Il ne t'as fallu pas moins de 2 minutes pour réagir face à ton assaillant! Plus de 1 minute et 30 secondes pour traverser ce parcours!
Il pointa du doigt un large terrain vague où des plots et des obstacles avaient été installés.
- Sans compter les plots que tu as renversés sur ton passage. Redresse-toi, soldat! Tu te laisse dominer par un petit nouveau, on dirait une fillette et tu te prétends PRETE?!! hurla t-il en lui postillonnant directement sur le visage.
- Oui, je le suis! s'entêta t-elle sans perdre de sa belle assurance. Nous sommes le 13 Août, il y a exactement 7 jours que j'ai atteint la majorité, plus de 3 mois que je suis ici.. Alors la réponse à votre question est OUI! Je me sens tout à fait prête à plier bagage!
Sans un mot de plus, elle se détourna et parti rejoindre ses quartiers en ignorant les regards choqués et réprobateurs des autres jeunes recrues. D'un pas rageur, son supérieur la rattrapa.
- Sans vouloir vous manquer de respect, mon Colonel, lâcha Kaylee en faisant volte face, plus rien ni personne ne me retient ici!
- Petite sotte! Que penses-tu qu'il se passera une fois retournée à la civilisation? Que ton petit séjour chez nous te servira de leçon? Tu n'as rien appris des enseignements dispensés ici, tu n'as fait que les contourner. Que cherche-tu? A reproduire les mêmes erreurs inlassablement?
Ces mots ne firent ni chaud ni froid à la jeune fille qui s'était attendu à ce genre de répartie de la part du Colonel.. et de son père mais cela était un autre problème sur lequel elle n'avait pas encore eu le temps de se pencher.
- N'ayez Crainte Colonel Morel, la seule vie que je pourrai mettre en danger sera la mienne!
Elle tourna les talons, ignorant le "PERKINS" retentissant qu'aboyait son supérieur.
- Je trouve ton comportement particulièrement détestable ces derniers temps, tu t'enfuis de l'élite sans même me prévenir..
- Je n'ai pas prit la fuite, je suis simplement parti! rectifia t-elle. Combien de fois il va falloir que je te le répète?!
- Tu choisi de rentrer seule à la maison, poursuivit son père en allant cherchant une bière dans le frigidaire, et tu ne m'appelle même pas pour me prévenir. Sais-tu ce que ça fait pour un père d'apprendre par quelqu'un d'autre que sa fille s'est fait la malle.
Kaylee roula des billes en terminant son verre de coca.
- C'est mon dernier jour ici, tu pourrais peut-être me lâcher la grappe! répondit sèchement Kaylee à son père.
- Tu as certes 18 ans, mais aux dernières nouvelles je suis encore ton père et tu me dois un minimum de respect tu ne pense pas?
Elle le regarda de haut en bas, paraissant réfléchir à la question puis le frappa d'un "NON" tonitruant!
Kaylee monta se réfugier dans sa chambre d'adolescente en ayant à l'esprit que cette attitude ne reflétait en rien l'adulte qu'elle se targuait d'être devenue. Mais elle avait besoin de se retrouver dans son petit cocon une dernière fois avant de le grand départ.
Elle se laissa tomber à plat ventre sur son lit, souffla un bon coup puis attrapa le carnet noire à reliure dorée posé négligemment sur un des nombreux cartons qui envahissaient la chambre.
Elle l'ouvrit et lut quelques lignes qu'elle avait elle même écrite en ne pouvant s'empêcher de rire toute seule.
"Revenue à la maison depuis à peine deux semaines que je remuerai déjà ciel et terre pour m'envoler ailleurs. J'ai bien de la chance dans mon malheur, plus qu'une journée en Enfer avant d'emménager dans ma nouvelle chambre! A moi la vraie vie avec tout les tracas qu'elle comporte mais peu importe, du moment que je me tire loin d'ici et surtout loin de.. lui!!"
Machinalement, Kaylee porta une main à son cou mais son cœur fit un bond hors de sa poitrine lorsqu'elle constata qu'elle ne portait plus son collier.
- C'est pas vrai.. non c'est pas possible! se lamenta t-elle en commençant à chercher dans tous les recoins possible et inimaginable de sa chambre.
Elle avait bien sûr commencé par les cartons, il n'était pas impossible qu'en en remplissant un, son collier se soit défait et ait glisser à l'intérieur. Mais rien, pas une trace de son bijou!
- Je vais le tuer! annonça t-elle en sortant avec hâte de sa chambre pour descendre rejoindre son père toujours à la cuisine.
- Où est-ce que tu l'as mis?!
- Quoi? Où est-ce que j'ai mis quoi? s'étonna t-il en levant les yeux du journal qu'il était en train de feuilleter.
- Oh non, ne fais pas l'innocent papa! Tu sais très bien de quoi il retourne. Il me le faut et tu vas me le rendre!
- Avant d'accuser les gens à tord, tu pourrais peut-être examiner la situation sous tous les angles! Je ne sais pas ce que tu as perdu, mais de toute évidence tu fais fausse route parce que je ne le retiens pas en otage!
- Mais je te parle de mon pendentif, bon sang! s'emporta t-elle en tapant ses poings sur le bar.
- Et bien vas-y! l'encouragea t-il. Si ça peut t'éclater, fouille-moi! Mais tu ne feras que perdre du temps et de l'énergie.
Kaylee poussa un grognement d'exaspération.
- Comme si tu aurais pris le risque de le garder sur toi! Tu me prend pour une idiote?!
- Non, mais pour une insolente, il n'y a pas de doute! répliqua t-il alors qu'il ne put réprimer un sourire en coin. Tu es bien ma fille!
- Papa, si tu l'as je t'en prie rends-le moi! le supplia t-elle presque en prenant une voix plus douce. Tu sais combien il a d'importance à mes yeux.
- Tout ça n'est que foutaise, Kaylee. Tu pense que parce que tu le porte, tes jours seront meilleurs, que des opportunités te tomberont miraculeusement du ciel? Ce n'est que de la superstition!
- Donc tu l'as pris?
- Tu as tord de penser qu'un collier peut augmenter tes chances de réussite! Seul le destin a ce pouvoir.
- Oui, c'est ça, marmonna t-elle. Mais comme tout est écrit depuis des décennies ça ne sert à rien de déployer des forces incommensurable pour y échapper. Papa, je le connais déjà ce discours et tu connais mon avis là dessus, ce ne sont que des conneries!
- Pas autant que ta superstition maladive!
Kaylee tendit la main dans l'attente qu'il lui remette son pendentif.
- Ce pendentif a un certain contrôle sur toi, tu en es devenu totalement dépendante, méfies-toi!
- J'ai plus envie de jouer, rends-le moi!
- Je ne t'ai jamais dit que je te l'avais subtilisé!
Elle laissa retomber sa main dans un soupir à fendre l'âme.
- C'est une erreur de penser que tu peux contrôler ta vie grâce à lui. Ces croyances ne te mèneront nul part!
- Oui, comme de m'envoyer dans un camp d'entraînement tout l'été?! persifla Kaylee.
Elle remonta à l'étage la boule au ventre, non par pour avoir parler si froidement à son père mais pour avoir bel et bien perdu son pendentif.
- Misère! se dit-elle en pensant qu'elle avait encore sa valise à préparer.
Pourtant, c'était le cadet de ses soucis, elle se promit de passer la nuit à rechercher son pendentif s'il le fallait.
Par chance, elle le retrouva sur le lavabo de la salle de bain. Elle se demandait bien comment il avait pu atterrir ici car elle n'avait pas le souvenir de l'avoir retiré et encore moins déposé à la vue de tous alors que son père pourrait lui "confisquer".
Elle remit autour de son cou le long pendentif orné d'une pierre émeraude qui s'harmonisait à merveille avec la couleur de ses yeux.
"Cela peut paraître stupide de porter autant d'amour à une chose matérielle, mais je n'y peux rien. J'y tiens tant. Pour la petite histoire.. Oui je crois ne l'avoir jamais évoqué dans ce journal.. Il me vient de ma grand-mère qui, peu de temps avant de rejoindre les anges l'avait remis à ma mère. Elle avait le devoir de me le remettre lors de mon huitième anniversaire.. Ce qu'elle fit. Depuis il n'a plus jamais déserté mon cou si ce n'est pour me doucher bien sûr, mais là encore je prend un soin particulier à le déposer. Je devais vraiment avoir la tête dévisser des épaules pour l'avoir balancé sur le rebord du lavabo. Encore une fois, la chance était avec moi et j'ai pu le retrouver assez rapidement. Quoiqu'en dise mon père, ce pendentif est spécial, je suis certaine qu'il est lié à moi et qu'il me protège. Je pars du principe que ma grand-mère ne me l'aurait jamais donné s'il avait s'agit d'un simple bijou. Elle même y tenait beaucoup. Du moins, c'est ce que je pense car d'aussi loin que je me souvienne, il ornait son cou avec grâce. Bien sûr, mon père a encore trouver une explication plausible au fait qu'elle ai choisi de me l'offrir en cadeau, car la pierre porte la couleur de mes yeux. Après tout, s'il préfère y croire.. Seulement après ce que j'ai vécu l'an dernier, il ne fait plus aucun doute pour moi que sans lui je cours à ma perte. Les choses auraient sûrement été différentes si je l'avais porté.. Non Kaylee, ça ne sert à rien de remuer le passé. Si j'avais pu au moins retenir une chose du camp d'entraînement, c'était bien de ne plus revenir en arrière et d'avancer vers l'avenir la tête haute. De toute façon, il ne me reste plus que cette alternative si je ne veux pas sombrer."
Il était plus d'une heure et demi du matin quand Kaylee pu officiellement se déclarer fin prête à quitter cette maison. Elle s'accorda un break bien mérité avant d'aller déposer sa valise sur le seuil de sa porte et s'assit sur son lit, un large sourire au visage.
Son sourire s'estompa bien vite lorsqu'elle avisa le cadre photo la représentant elle et ses deux meilleurs amis: Stanley et Candyce. Son regard se figea, comme ses amis suspendus à travers le temps, et se fit plus sombre. Elle resta quelques secondes rivée sur leur visage tandis qu'elle caressait la photo d'un geste tendre, puis détourna le regard les larmes aux yeux.
- Vous me manquerez! murmura t-elle.
A dessein, elle choisit de ne pas ranger la photo dans ses affaires mais de la laisser reposer sur sa table de chevet.
Le lendemain matin, le père de Kaylee s'affairait à ranger les derniers cartons dans le coffre de sa voiture, une Ford bleu nuit qu'il chérissait plus que sa propre enfant. C'est du moins ce que pensait Kaylee à voir les soins qu'il lui apportait.
Avant de lui dire que de s'attacher à un pendentif était maladif, il aurait dû tourner sept fois la langue dans sa bouche et se regarder!
La jeune fille leva une dernière fois les yeux sur la maison qu'elle avait habité une grande partie de sa vie. Une longue page de sa vie se tournait et étrangement, cette pensée lui fit un pincement au cœur. Elle qui était si pressée de quitter cette maison, ce quartier et de goûter au joie de la vie universitaire n'allait tout de même pas lâcher une larme!!
"Ce serait le comble après avoir fait des pieds et des mains pour partir!" se fit-elle la remarque en allant rapidement se réfugier à l'intérieur de la voiture, sans plus un regard en arrière.
Elle entendit le coffre arrière claquer, puis vit son père entrer. Il s'assit sur le siège conducteur, un sourire béat en coin tandis qu'il jetait quelque regard à la dérobée vers elle.
A son attitude maladroite, la jeune fille devina qu'il allait lui demander quelque chose de gênant aussi bien pour elle que pour lui.
- Tu es passé une dernière fois voir tes amis? Tu as pu leur dire au revoir? demanda t-il soudain d'une voix douce.
Kaylee tourna le regard vers la fenêtre, ne voulant montrer ses émotions à son père.
- A quoi bon?
Ce n'était pas réellement une question. Jeremiah comprit qu'il ne servirait à rien d'y répliquer.
Alors que la voiture démarrait, Kaylee ajouta dans un murmure:
- Je préfère les laisser en paix!
Jeremiah Perkins avait tenu à suivre sa fille jusqu'à sa nouvelle chambre d'étudiante pour l'aider à déposer ses affaires. Les bras chargés de deux cartons, ils peinaient à avancer droit devant lui sans bousculer personne. Kaylee elle n'avait qu'un petit carton léger entre ses mains et la clef de sa chambre.
- Voilà, on est arrivé! lança t-elle en souriant. Chambre 167, c'est bien celle-là!
- Ravi de le savoir, dit-il avant de bousculer une jeune fille. Oh pa..pardon! bafouilla t-il en s'excusant pour la dixième fois depuis qu'ils avaient atteint le 3ième étage.
Kaylee prit pitié pour son père et vint le décharger du carton du haut, en le remplaçant par le sien.
- Je t'avais dit de n'en prendre qu'un à la fois!
- Tu sais que je déteste faire des aller retours!
Kaylee secoua la tête en souriant. Elle resta un instant devant la porte de sa chambre.. Sa chambre, comme un petit studio rien qu'à elle où elle pourrait faire absolument tout ce qui lui passait par la tête. Enfin, rien qu'à elle c'était vite dit, elle savait qu'elle devrait la partager avec une autre étudiante mais elle ne voulait pas y penser pour le moment et savourer l'instant présent.
Elle tourna avec une certaine appréhension la clef dans la serrure. Son cœur battait la chamade et elle se sentait ridicule de stresser pour ça, mais cette porte représentait à elle seule son passage vers l'âge adulte.
Elle n'en crut pas ses yeux lorsqu'elle découvrir la pièce.. Bien, bien plus grande que ce qu'elle avait imaginé. Quand elle y réfléchissait maintenant, c'était la moindre des choses au prix que coûtait l'inscription. C'était Jeremiah qui avait insisté pour qu'elle choisisse cette université de renom, il se sentait tellement fière que sa fille chérie ait été accepté à Columbia qu'il en avait presque oublié que ce n'était pas à lui que devait revenir le choix final. Heureusement pour lui, Kaylee avait craqué pour le cadre idyllique de la ville et du campus.
- C'est bien plus grand que la chambre que j'avais visité!
- Oui, hum! Jeremiah se racla la gorge, un peu embarrassé. J'ai pris l'initiative d'en demander une plus spacieuse.
Kaylee se retourna vers lui, surprise et touchée de ce geste.
- Tu as fait ça pour moi? Mais ça a dû te coûter une petite fortune!
Il la prit par les épaules, d'un air protecteur.
- Ne t'occupe pas des soucis financiers, ça c'est mon domaine. Le tien est de réussir au mieux tes études dans cette prestigieuse académie.
"Je me disais bien qu'il y avait anguille sous roche, pensa t-elle. Il a beau m'avoir fait ce cadeau pour se racheter, je devrai tout de même lui montrer un peu de reconnaissance.."
- Alors, ça te plait?
- Hein? fit-elle encore perdu dans ses pensées. Oh, euh oui c'est sûr que ça me plait beaucoup.
- Par contre, je n'ai pas pu t'obtenir de chambre personnelle, les réservations se font plus d'un an à l'avance. Je sais combien tu rêves de te retrouver seule dans une chambre, mais ce ne sera pas encore pour cette année.
- Je m'en doute, mais ça ira! Je saurai m'y accommoder.
Elle jeta un rapide coup d'oeil autour d'elle, un lit près de la fenêtre, l'autre au fond de la pièce, près du mur!
"Alors là sûrement pas!" se dit-elle.
Elle se pressa de mettre ses cartons sur le lit face à la fenêtre pour bien faire comprendre à sa future colocataire qu'il était chasse gardé et qu'elle n'avait qu'à arriver plus tôt!
- Tu sais, je tiens vraiment à te rembourser, dit-elle en sautant sur le lit avant de s'y installer. Ca ne sera sûrement pas avant des mois voir des années mais je ne veux pas laisser une telle somme entre nous!
- Entre nous, mais qu'est-ce que tu veux dire? Je suis ton père, il est naturel que je paye tes études.
- Oui, peut-être mais moi ça me dérange, lui fit-elle comprendre. Et puis, je n'aurai qu'à me trouver un petit boulot, ça ne doit pas être si compliqué que ça ici! Les jobs étudiants ça doit même courir les rues!
- Justement, avec toutes les annonces postées ici et là, ne t'attends pas à en trouver rapidement. Il te faudra du temps et de la patience..
- Oh, j'imagine bien, le coupa t-elle. Ca ne me fait pas peur!
- Non, si tu veux vraiment trouver un emploi à mi-temps, je vais m'arranger avec Sal..
- Non, non pas Salinger! Ecoute papa, je sais que tu veux m'aider mais je suis à la fac maintenant, il est temps que j'apprenne à me débrouiller seule, d'accord?
- Bien sûr. Je suis juste agréablement surpris.
- Pourquoi parce qu'à tes yeux je suis toujours cette gamine qui ne compte que sur les autres?
- Non, parce que c'est une décision adulte! Tu reste une gamine insolente mais tu mûris, sourit son père.
Kaylee sourit à cette remarque. Elle allait rétorquer pour avoir le dernier mot quand un raclement de gorge la fit se retourner en direction de la porte.
- Salut! lança une jeune fille brune aux longs cheveux bouclés, les bras chargés de deux cartons.
N'oubliant pas sa galanterie, Jeremiah accouru vers la nouvelle venue afin de la soulager d'un poids.
- Merci, c'est très gentil à vous! Mais faites attention à celui-ci, il y a quelque chose qui m'est cher dedans.
- Ohh!
Avec précaution, Jeremiah posa le carton sur la table de chevet du lit accolé au mur.
La jeune fille inspecta la chambre avec bien moins d'émerveillement que Kaylee, quelques minutes plus tôt. Cette dernière comprit que cette fille devait être habituée au luxe. Elle la vit allé poser ses affaires sur le lit du fond, toute guillerette.
- Je m'appelle Lyanna Ross Kingsley, se présenta t-elle en tendant la main vers la première personne, autrement dit le père de Kaylee.
- Ravi, dit-il sans se départir de son sourire. Jeremiah Perkins et voici ma fille..
Il se tut en pensant qu'elle aimerait sûrement se présenter elle-même.
- Oui, et bien je vais vous laisser un petit instant pour faire plus ample connaissance! Je ramène d'autres cartons.
Kaylee eut à peine le temps de le remercier qu'il prit la fuite pour les laisser entre filles. Elle sourit nerveusement, d'une mine peu enjouée mais fit un effort pour se lever et saluer sa colocataire.
- Salut Lyanna Ross Kingsley, j'espère que je n'écorche pas ton nom! Moi c'est Kaylee Perkins!
Kaylee tendit une main pensant qu'elle la serrerait mais Lyanna lui fit carrément la bise.
Voyant qu'elle s'apprêtait à en faire une troisième, Kaylee l'arrêta.
- Désolée, chez nous c'est trois et j'ai tendance à me laisser un peu emporter! s'excusa la jeune fille.
- Pas de mal, dit simplement Kaylee.
- Je voulais te demander, tu aimes les poissons?
Visiblement cette question mettait Lyanna dans l'embarras, elle se tortillait dans tous les sens par peur de la réponse.
- Les poissons? répéta t-elle sans comprendre où elle voulait en venir. Pourquoi, tu veux m'emmener manger des sushis?
Cette remarque, au lieu de faire rire la jeune fille lui provoqua un élan de dégoût.
- Ah non, non quel horreur! Je voulais dire, les animaux!
- Pourquoi? demanda prudemment Kaylee.
- Comment dire.. avança t-elle gênée.
Elle retourna près de son lit pour sortir soigneusement d'un carton un bocal à poisson rouge.
- Oh, je vois, fit Kaylee assez déroutée.
- Ce sont mes bébés tu comprends, j'espère que ça ne te gêne pas si je les laisse ici?
- Ce ne sont que des poissons rouges, lui signala Kaylee. Je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire pour troubler ma tranquillité!
- Vraiment? lança t-elle avec joie.
Kaylee regarda Lyanna en se demandant à quel genre d'énergumène elle allait avoir à faire.
- Et.. les hamsters?
- Parce qu'il y a aussi une cage à hamster dans ton carton?
La jeune fille acquiesça vigoureusement d'un hochement de tête, en souriant avec gêne.
- Mais il n'y en a qu'un, je te le promet!
- On se connait depuis deux minutes que tu me fais déjà des promesses! Pas la peine, je n'en ai rien à faire que tu ai amené ta ferme avec toi.
- Ca t'ennuie pas alors, t'es sûre?
- Certaine, souffla Kaylee en allant à son tour défaire ses premiers cartons.
- Je ne le sortirai pas de sa cage!
- J'ai vu de plus grosses bestioles dans ma vie ce n'est pas un rongeur qui va m'impressionner! Tu viens d'où exactement?
- Du Kansas, dit-elle avec une fierté non dissimulée. Je vis dans un ranch.
- D'où les petits animaux, murmura Kaylee. Je comprends mieux!
- Et toi tu viens d'où?
"Je vois, je n'aurais jamais dû entamer la conversation! se fit-elle la réflexion"
- D'Atlanta.
- Oh, c'est une grande ville, alors Columbia ne doit pas te perturber? Moi, je me sens déjà très mal à l'aise tu sais, je n'aime pas la circulation, la pollution, les gens qui se bousculent et qui ont l'air d'avoir un train à prendre à chaque minute et sans parler de ses grands espaces qui devraient être recouvert d'arbres et que des industriels ont détruit pour implanter de grands bâtiments.
"Une écologiste, il ne manquait plus que ça à ma vie", se dit la jeune fille en écoutant d'une oreille distraite.
Arrivée sur le parking du campus Kaylee repéra sans peine la Ford de son père. Alors qu'elle s'attendait à l'y trouver, feuilletant comme à l'accoutumée un journal qu'il aurait ouvert en grand et posé sur le volant en manquant de peu de reverser son café sur sa chemise, la jeune fille trouva la voiture vide et les derniers cartons encore à l'intérieur du coffre.
Elle se douta qu'il était allé prendre un café quelque part, sans doute par crainte de les déranger elle et sa nouvelle "amie" protectrice de la faune et de la flore. Puis il était 11h du matin, l'heure habituelle durant laquelle son père reprenait le deuxième café de la matinée.. et seulement de la matinée parce que dans une journée entière il devait en consommer pas moins de six!
Elle sortit le téléphone portable de sa veste en jean.
- Papa, où tu es? Je suis sur le parking.
- Oh tu n'étais pas obligé de te déplacer, je comptais revenir avec les cartons. Tu pouvais rester avec Lyanna.
- Sans façon, marmonna t-elle. Enfin, c'est pas qu'elle est pas cool, elle est même tout l'opposé mais tu sais que je suis mal à l'aise face à quelqu'un que je ne connais pas.
- Je le sais, chérie mais que ça ne t'empêche pas de te faire de nouveaux amis cette année, je ne veux pas que tu reste seule.
- Crois-moi il vaut mieux pour tout le monde.
- Tu n'as pas à te punir. Tu ne fais que te faire du mal à toi-même.
- Oui, ben vaut mieux ça que d'en faire aux autres! répliqua t-elle. Alors dis-moi, tu es où? demanda t-elle abruptement pour changer le fil de la discussion.
- Si tu préfère me rejoindre, soupira Jeremiah, je suis allé prendre un petit café à la cafétéria. Tu vois où c'est, c'est le bâtiment après le dortoir?
- Ouais, je crois voir! dit-elle sans même regarder. Ben, je te rejoins là-bas d'accord! A tout de suite.
Elle raccrocha vivement. Il avait fallu qu'il la relance, il ne pouvait donc pas accepter son choix d'être solitaire? Elle avait ses raisons et il connaissait les causes de cette décision mais ne pouvait résister à l'envie de s'en mêler.
Chassant ses pensées d'un mouvement de tête, elle marcha jusqu'au coffre de la voiture. Elle n'avait aucune idée d'où se trouvait cette cafétéria, elle et le sens de l'orientation cela faisait deux, mais elle avait prévu d'aller déposer d'abord les derniers cartons dans sa chambre. Il n'en restait que deux gros avant la valise de vêtements, cela aurait été débile de ne pas les prendre tout de suite. Elle n'allait pas non plus passer la sainte journée à emménager!
Seulement elle se trouvait dans le même cas de figure que son père, un peu plus tôt. A savoir: devait-elle prendre les deux cartons au risque de tomber et de marcher sur les pieds de tout le monde?
La réponse était un oui définitif! Elle s'était moquée ouvertement de son père en le voyant s'encombrer et pourtant c'était ce qu'elle allait faire.
- Non mais quelle idée de se charger autant! se morigéna t-elle après avoir fait quelques pas.
Cependant elle traversa avec succès le parking sans se heurter à quiconque, ce n'est qu'arrivée devant la porte d'entrée du hall qu'elle trébucha sur la première marche. Ses cartons lui échappèrent des bras alors que son corps partit en avant. Elle se serait méchamment rétamée devant tout le monde si le jeune homme qui sortait au même instant du bâtiment ne l'avait rattraper et rééquilibrer de justesse.
Lorsqu'elle croisa son regard, ce fut comme si elle avait reçu des électrochoc en plein cœur, il avait des yeux incroyablement beaux, noisettes parsemés de petits éclats dorés. Lui-même parut ébloui par les yeux émeraude de la jeune fille.
- Rien de cassé? demanda t-il soudain pour cacher le trouble qui s'était installé entre eux.
- Je.. non je pense pas! bafouilla t-elle avant de se faire intérieurement violence. Je crois que ce sont mes affaires qui ont le plus souffert!
Il se baissa pour l'aider à ramasser les cartons qui ne s'étaient pas renversés, solidement scellés par du gaffer.
- Je vais t'aider! lui dit-il en prenant déjà les deux cartons.
- Non, te sens pas forcé c'est quand même moi qui t'ai bousculé!
- Ca me dérange pas! lui assura t-il en posant un moment les cartons sur les marches.
- Jayden! se présenta t-il en lui serrant la main.
A son contact, Kaylee se sentit toute chose mais elle n'aurait pu exprimer clairement les sensations que cela lui avait procuré. Elle fut certaine que Jayden l'avait également ressenti car il retira expressément sa main, comme s'il avait été brûlé.
Il lui sourit l'air de rien.
- Je suis en deuxième année de physique/chimie. Toi tu es une petite nouvelle!
- Ah oui? Ca se voit tant que ça? s'inquiéta t-elle en se touchant inconsciemment le visage.
- Les cartons! lui fit-il comprendre.
- Evidemment, les cartons, dit-elle gênée de sa stupidité.
- Je t'accompagne jusqu'à ta chambre!
"Il va un peu vite en besogne, lui!" songea t-elle.
Se passant nerveusement une main dans ses longs cheveux ondulés, elle parut hésiter mais ne put refuser son aide. Cela n'aurait pas été très correct et puis elle ne pouvait nier qu'elle avait cruellement besoin de renforts.
- Tu ne m'as pas dit ton nom?
- Kay.. euh Kaylee.
- Oh, c'est joli! Je t'appellerai Kay.
- Si tu veux, dit-elle sans conviction.
"Je ne sais pas ce qu'il espère.. si j'en ai une vague idée.. se reprit-elle en son for intérieur. Mais il va tomber sur un os avec moi!"
- Tu as choisi quelles études?
- Les lettres, lettres anciennes et langue morte surtout. Je sais, morbide! reconnut-elle avant même d'avoir entendu son avis sur le sujet.
- Non, passionnant, approuva t-il. Les livres poussiéreux il n'y a que ça de vrai!
La plupart des personnes à qui elle avait parlé de ce choix, lui avait tenu le même le même discours ironique, mais pas Jayden. Au ton de sa voix elle sentait qu'il trouvait cette filière intéressante.
- T'es sérieux?
- Ca va te paraître un peu zarbi, d'ailleurs j'espère que tu ne prendras pas tes jambes à ton cou après te l'avoir avoué, dit-il avec prudence.
Cela fit sourire Kaylee.
- Tu peux y aller! Je suis immunisée, plus rien ne peut m'étonner.
Jayden la regarda de biais, véritablement intriguée par cette jeune fille. Il la sentait différente mais n'aurait su dire en quoi.
- Je suis très attirée par tout ce qui touche à l'ésotérisme, l'occultisme.. Ne vas pas penser que je suis un cinglé, passionné par le monde des morts. Même si j'ai eu ma période gothique, je te jure qu'elle est vite passé!
- C'est tout? Et alors beaucoup sont attirés par ce genre de chose mais à la différence qu'il n'en parle jamais. Toi tu as l'air de savoir ce que tu veux et de l'assumer, je trouve ça bien.
Elle se tut en prenant conscience que leur conversation devenait un peu trop personnelle et complice. Elle découvrait qu'ils avaient pas mal de point en commun et ce n'était pas bon.. Pas bon du tout si elle voulait respecter les engagements qu'elle s'était fixé pour cette nouvelle année.
- Ouais et puis ce n'est pas être gothique mais être intéressé par des trucs un peu plus profond, tu vois?
Kaylee hocha la tête sans un mot.
- J'étudie aussi un peu les langues anciennes pour comprendre certains bouquins. Y'en a qui datent de plus de 600 ans et le dialecte est incompréhensible. Tu pense que tu pourrais me donner des cours, un jour?
"Etais-ce une façon tordu de me draguer?"
Soudain, Kaylee se demanda s'il s'intéressait vraiment aux sciences occultes ou s'il ne disait cela que pour l'impressionner. Dans ce cas, il serait assurément un bon acteur parce que la jeune fille, d'habitude si méfiante était tombée en plein dans son jeu.
- Voilà, je suis arrivée à ma chambre! lança t-elle en entrant rapidement.
Elle posa son carton et fut un peu agacée de constater que sa nouvelle colocataire n'était plus dans la chambre, pour une fois qu'elle souhaitait sa présence.
- C'était sympa, je te remercie! fit-elle à Jayden en lui prenant l'autre carton des mains.
- Tu serais ok pour les cours? insista t-il.
- On verra, dit-elle évasivement.
- Et pour une sortie demain soir? s'enquit-il plein d'espoir.
- Quoi? Ah non, je suis désolé si tu as pensé qu'on pourrait.. sortir ensemble mais il se trouve que j'ai un petit ami. Oui, il ne fait pas ses études ici, mais on a gardé une relation à distance, tu comprends.
Jayden ne cacha pas sa déception et baissa la tête.
- Je suis pas un briseur de ménage, la rassura t-il. Mais si tu change d'avis, juste pour prendre un verre, rien de plus et discuter comme on a commencé à le faire..
- Je vais y réfléchir, dit-elle avant de se baffer intérieurement.
"Pauvre idiote, c'est la porte ouverte à toute les éventualités, avec ça il va croire que c'est dans la poche!"
- Je te promets rien, ajouta t-elle pour rectifier le tir. Je.. je dois allé rejoindre mon père en bas, alors je te dis à un de ces jours!
- Le plus tôt sera le mieux, dit-il avec un petit sourire malicieux vissé au coin des lèvres.
Elle aurait été de bien mauvaise foi si elle avait prétendu ne pas être intéressée. En plus de ses yeux à tomber par terre, de son sourire enjôleur à faire fondre jusqu'à la plus frigide des jeunes femmes, il semblait déborder de vitalité. C'était justement là que le bas blessait. Kaylee ne pouvait pas se permettre de laisser ses sentiments influer sur son esprit.
Kaylee retrouva son père à la cafétéria non sans mal. Elle avait demander par trois fois son chemin à des étudiants. Elle allait vraiment devoir visiter l'endroit si elle ne voulait pas arriver en retard en cours dès le premier jour, à compté de la semaine prochaine.
Elle le vit attablé au bar, en compagnie d'une ravissante jeune femme d'une trentaine d'année aux long cheveux blonds. Tous d'eux ne se connaissaient que depuis quelques minutes qu'ils riaient déjà aux éclats.
"Trois ans plus tôt et cela m'aurait choqué de voir mon père fricoter avec une autre femme que ma défunte mère. Je ne comprenais pas comment il pouvait être attiré par une autre, alors qu'il s'était engagé à vie avec ma mère. A vie, c'est bien ce que j'avais fini par admettre. Ce n'était pas pour l'éternité et tant que mon père serait de ce monde, il devrait refaire sa vie et ne plus s'accrocher au passé. J'ai fini par comprendre et accepter que s'il se remariait il n'en oublierait pas pour autant ma mère qu'il chérirait jusqu'à la fin de ses jours. A bien y réfléchir, j'ai compris qu'elle aussi aurait sans doute voulu cela pour lui."
"Lui au moins n'a aucune peine à se faire des amis. Il n'a pas à culpabiliser!" se dit Kaylee en allant à leur rencontre.
Elle prit place à un tabouret, à côté de son père.
- Ohh, Suzanne je vous présente ma fille. Kaylee.
- Salut! fit cette dernière avec un vrai sourire.
Elle même fut surprise qu'il ne soit pas feint.
- Alors, pas trop stressée de tes premiers pas en tant qu'étudiante?
- Pour l'instant je n'ai vu aucune différence avec le lycée, plaisanta t-elle de bon cœur.
La jeune femme sourit de toute ses dents blanches.
"Elle pourrait tourner dans une pub Colgate! se fit-elle la réflexion. A moins que ce ne soit déjà fait!"
- Papa, est-ce qu'on pourrait parler?
- Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.. fit Suzanne en se levant.
Jeremiah lui sourit d'un air béat tandis qu'elle glissait un petit papier où était inscrit son numéro de portable dans la poche avant de sa veste.
- Bye Kaylee! dit-elle en lui adressant un signe de la main avant de s'éclipser.
- Elle est sympathique! reconnut Kaylee. Mais un petit peu trop rentre-dedans.
- Elle est venu accompagner sa jeune sœur. Alors dis-moi, de quoi voulais-tu me parler?
- Je voulais surtout te dire de ne pas t'inquiéter, parce que je sais que ce sera plus fort que toi, et je voudrais aussi te demander de ne pas m'appeler toutes les heures.
Jeremiah émit un petit rire.
- Je ferai des efforts. Je sais que tu as 18 ans et que je dois te laisser un peu de liberté, seulement ne me demande pas d'arrêter de me faire du souci pour toi, j'en suis incapable.
Il marqua une pause, puis reprit l'air plus grave.
- Je pense que ce stage va bien plus t'apporter que tu ne le crois.
- Tu parles de quoi?
- Tu le sais très bien! Tu n'as peut-être pas suivi le programme à la lettre jusqu'aux derniers jours, et tu as enfreint à maintes reprises les règles..
Kaylee esquissa un petit sourire.
- On ne peut pas m'attacher en laisse, tu le sais bien. Papa, ne repartons pas sur ce sujet, je n'ai pas envie de m'engueuler avec toi, aujourd'hui.
- Et moi non plus! lui assura t-il en posant une main sur la sienne. Tu sais, le bilan de ces trois mois à l'Elite est tout sauf négatif. Hier soir, j'ai pu parler longuement au Colonel Morel..
- Oh seigneur! se lamenta t-elle en levant les yeux au ciel.
- Je sais que tu ne le porte pas dans ton cœur et que tu pense qu'il te déteste, mais tu as tord, il se montre simplement plus sévère avec toi parce qu'il sait que tu as énormément de potentiel.
- C'est ce qu'il t'as dit? demanda Kaylee en haussant les sourcils.
- Il n'en a pas eu besoin, je sais encore lire entre les lignes!
- Alors comme ça il m'aime bien, hein? Et le l'Oscar du meilleur acteur est décerné au.. Colonel Morel! railla la jeune fille.
- Tu pense encore que cet entraînement n'était pas nécessaire, que j'ai été injuste en t'envoyant là-bas, je le sais. Mais quoi que tu en pense, je sais que tu seras sans doute amener à mettre en application les exercices effectués et à ce moment là, tu seras bien contente d'avoir suivi ce stage intensif.
- Au risque de paraître prétentieuse, mon agilité, mon entraînement quotidien me suffisait amplement. Je ne pense pas avoir appris grand chose dans ce camp si ce n'est que les jeunes ont perdu le sourire et sont devenus presque défaitiste à force de penser que leur destin est immuable.
- On va éviter de relancer le conflit! lui suggéra t-il. Ma chérie, je veux seulement que tu me promette de faire très attention à toi et à tes fréquentations! Cette ville a l'air calme au premier abord mais c'est une grande ville.. il peut s'en passer des choses.
- Mes fréquentations seront au point mort et je resterai enfermée la nuit dans un bunker pour éviter tout débordement! lança t-elle avec un grand sourire.
"Mon père n'a jamais eu qu'un souhait: me protéger envers et contre tout. Je suis encore son bébé, sa fille unique et il a fait la promesse à ma mère de veiller sur moi jusqu'à son dernier souffle. C'est pour cela que je ne peux pas vraiment lui en vouloir de m'avoir envoyé en camp militaire. Il faudra du temps avant que je l'oubli, mais je suis capable de lui pardonner. Assez inattendu comme j'ai pu changer en un an. On dit que les épreuves de la vie nous font souffrir mais nous rendent plus fort, assurément! J'arrive à m'en étonner moi-même!"
- Tu écris un journal toi aussi? J'ai toujours pensé que je publierai mes mémoires un jour.
Kaylee en sursauta presque, elle était tellement plongée dans son récit que revenir à la réalité la chagrina. Elle leva à regret les yeux de son carnet et les posa sur Lyanna.
- Bonne idée! dit-elle distraitement en se passant une main sur son front en sueur.
C'était le début du mois de septembre, les températures étaient chaude mais pas non plus caniculaire. Il faisait même doux, seulement il faisait une chaleur à crever dans cette chambre.
"Pour le prix, ils auraient pu nous installer la clim'!" songea Kaylee en laissant échapper un soupir de mécontentement.
Elle posa son journal sur la table de nuit puis se leva pour aller à la salle de bain. Contrairement à la chambre qu'elle avait visité au mois de mai, celle-ci avait sa propre salle de bain et lui évitait de faire des allers retours sur le pallier pour rejoindre la salle d'eau commune.
Elle entendait vaguement sa camarade déblatérer sur tout un tas de sujet mais n'y prêta pas grand intérêt, se contentant de marmonner des 'hum hum" pour ne pas la vexer et lui faire savoir qu'elle l'écoutait un minimum.
Kaylee se passa de l'eau bien fraîche sur le visage, puis croisa son reflet dans la glace lorsqu'elle se redressa. Cette image ne réussit qu'à la faire grimacer. Elle n'avait pas une mine de déterrée ou de grosses poches sous les yeux, mais elle n'avait que peu d'estime pour la jeune fille qu'elle y voyait.
Elle baissa les yeux sur sa trousse de toilette pour en sortir ses comprimés; des fortifiants à prendre à vie. Soudain, elle se sentit ridicule de se cacher pour les avaler, c'était quelque chose qu'elle avait toujours fait sans la présence d'autrui et de savoir que Lyanna pourrait la surprendre, la mettait mal à l'aise.
- Je lui dirais que ce sont des vitamines! souffla t-elle en se pressant d'avaler les deux petits comprimés orangés.
- Tu disais? demanda Lyanna de son lit.
"Comment elle a pu m'entendre? Il y a un micro sous mon débardeur?" se demanda la jeune fille alors qu'elle pensait avoir parlé à voix basse.
- Que je suis épuisée, désolée mais je vais éteindre!
Sans attendre l'approbation de sa colocataire, Kaylee s'approcha de son lit et éteignit la lampe de chevet. C'était la seule lumière encore allumée car Lyanna avait oublié d'emporter la sienne.
- D'accord, moi aussi cette journée m'a fatigué. Tu sais, j'ai pensé qu'on pourrait faire la déco ensemble demain, j'ai pleins d'idées pour égayer un peu l'atmosphère de cette chambre. Tu aimerais quel style, toi?
"Elle pige quand je dis que j'ai envie de dormir?" se demanda Kaylee en soupirant.
Ceci n'était pas tout à fait vrai, Kaylee n'avait jamais eu besoin de plus de 4 heures de sommeil par nuit. Elle n'avait jamais pu expliquer ce phénomène mais il la réjouissait. Ce qu'elle désirait surtout, c'était de ne pas engager de conversation interminable avec Lyanna.
- Tu dors pas déjà?
- Hein? Non, non je réfléchissais.
"T'as encore manqué une occasion de te taire!!"
- On verra ça demain, tu veux bien, je suis naze! Bonne nuit!
- J'avais pensé à mettre du papier peint avec des chevaux.. en fait j'en ai même apporté mais je ne veux rien faire sans ton accord.
- Fais ce qui te plait! lui répondit-elle, perdant patience.
Lyanna ne parut pas relever le ton désagréable et poursuivit avec tout autant d'enthousiasme.
- Ca serait vraiment bien, je suis une fanatique des chevaux depuis toute gamine. Tu dois t'en douter comme j'ai vécu dans un ranch. J'ai un cheval, il s'appelle Kiotto. Me demande pas pourquoi j'ai choisi ce nom, j'avais 5 ans. Mais on a jamais voulu changer son nom, il paraît que ça perturbe les animaux. Si tu veux pendant les prochaines vacances je t'inviterai, mes parents n'y verront sûrement aucun inconvénient, mon père est rarement à la maison et toujours en déplacement à l'étranger, quant à ma mère, elle s'enferme la majeure partie de la journée pour jouer du piano ou quand elle ne pianote pas sur son instrument de musique, c'est sur son clavier d'ordi. J'aimerai beaucoup que tu viennes, ça te changerai de la ville. Tu adoreras j'en suis sûre..
Kaylee ne l'écoutait plus. Dieu ce qu'elle pouvait être bavarde. Si encore elle avait voulu s'en faire une amie, elle aurait sûrement beaucoup appréciée bavarder longuement avec elle, mais Kaylee tenait à préserver sa forteresse de solitude!
Soudain ses pensées la ramenèrent deux ans plus tôt, au lycée où elle et ses deux meilleurs amis s'étaient rencontrés. Elle revoyait leur sourire, réentendait l'écho de leur rire, des longues discussions qu'elle pouvait avoir au téléphone avec Candyce, bien souvent après minuit, et des heures passés avec Stanley à jouer aux jeux vidéos. C'était atroce combien ils pouvaient manquer à sa vie.
En silence, une larme coula sur sa joue et finit sa course sur son oreiller.
Quand Kaylee s'éveilla le lendemain, elle eut l'impression que la matinée était déjà bien avancé sans même avoir à regarder son radioréveil.
Elle se suréleva sur son lit et vit que Lyanna était assise au centre de la pièce. Devant elle, du souffre brûlait.
- Pourquoi tu fais brûler du souffre? Tu crois qu'on a le droit? s'étonna Kaylee en se hissant hors de ses draps.
- Je dois appeler quelqu'un! dit-elle tout de go.
Kaylee fronça les sourcils en approchant lentement de sa camarade.
- Et tu as besoin de brûler du souffre pour ça? Je sais bien que tu n'es pas habituée à la vie urbaine, mais je suis sûre qu'au Texas ils doivent posséder le téléphone!
- Il ne me servirait à rien, expliqua la jeune fille d'un ton las. Ce n'est pas ce genre d'appel que je dois passer!
- Pas ce genre d'appel.. répéta Kaylee alors que des bougies apparurent comme par enchantement, encerclant Lyanna.
La jeune fille s'était mise à psalmodier des paroles incompréhensible tandis qu'elle suivait à la lettre les indications d'un vieux livre.
- Mais qui es-tu? paniqua Kaylee en reculant vivement.
- Parce que tu ne l'as pas encore deviné? Je suis venu chercher celle qui a tué mon frère! répondit-elle d'une voix glacial.
A cet instant, le sol de la chambre se craquela puis s'ouvrit en deux, faisant jaillir de la lave en fusion.
Kaylee réalisa que sous ses pieds, se dressait le monde des Ténèbres.
- Non.. je ne voulais pas le tuer, pleura t-elle.
Au cœur du bouillon de lave, à plusieurs mètres de profondeur, elle découvrit un visage. Elle savait qu'elle le connaissait mais n'aurait pu l'identifier.
Kaylee se redressa vivement sur son lit en hurlant. Elle mit un moment à réaliser où elle se trouvait et qu'une voix lui parlait.
- Kaylee, réponds-moi! Dis-moi quelque chose! Tu te sens bien?
La jeune fille avait accouru près d'elle et tentait de la ramener à la réalité.
- T'as fait un sale cauchemar, c'est tout!
Kaylee secoua la tête pour chasser ses terrifiantes pensées, puis passa une main dans ses cheveux humide avant de se laisser retomber sur son oreiller.
- Tu veux que j'aille te chercher de l'eau?
- Nan!! Ca va bien, je t'assure.
Voyant que Lyanna restait prostrée, ne sachant quoi faire, Kaylee dû lui faire face.
- Regarde, je suis réveillée maintenant! Je sais encore faire la différence entre le rêve et la réalité! Tu peux aller te recoucher, je ne te ferais plus de frayeur.
A moitié convaincu, la jeune fille se décida pourtant à retourner au lit.
- Je vais bien, insista Kaylee. Ce n'était qu'un rêve.
A force de se le répéter, elle finirait sûrement par s'en convaincre. Cette nuit là serait courte pour elle, elle n'avait pas l'intention de se rendormir avant un moment!
A suivre..
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